comme une ombre ☆ effie

Loup est affalé sur son lit. Ses couvertures sont sur le sol. Il a chaud, trop chaud. Sa peau est imbibée de sueur. Il a fait un putain de cauchemar, le même que depuis plusieurs jours. Un procès, un verdict. Coupable. Ce qui risque fortement de lui tomber sur le coin de la gueule. Il est environ vingt-trois heures. Il a chaud et il est fatigué, fatigué de lutter contre tout le monde, contre la rumeur, cette garce qui se propage mais qu'on ne peut pas capturer ni faire taire. Loup ne porte qu'un short, un short de boxe qu'il n'a plus porté depuis son adolescence, ses dix-sept ans, vingt ans, quand il a arrêté ce sport parce que son père est mort, assassiné par son entraîneur de l'époque pour une sale histoire. C'est d'ailleurs pour son père qu'il est devenu flic, Loup, pour faire la justice et instaurer la sécurité. Mais maintenant, le danger, c'est lui. Il roule dans son lit, dans ce futon dans lequel Effie a dormi. Il inspire profondément l'oreiller, cherchant son odeur. Loup dormait dans la chambre d'amis, à l'étage aussi puis certain que sa mère, en bas, dormait, il se faufilait pour venir veiller sur l'adolescente qui faisait des cauchemars. Puis un soir, ça a dérapé, ils ont succombé. Personne ne le sait hormis eux et sa mère, qui lui a demandé. Pourtant, tout le monde s'en doute. Ils pensent tous néanmoins qu'Effie n'était pas consentante mais elle se tait, elle ne dit rien. Il ne sait même pas où elle est, d'ailleurs et ça le ronge. Est-ce que son père la cogne ? Il ne sait pas. Par contre, il sait qu'il aimerait bien le cogner, ce bâtard, pour faire du mal à la gamine. Loup soupire. Il se redresse. Corson, son berger allemand, reste roulé en boule en plein milieu du lit, n'ouvre même pas l'oeil. Il aperçoit une ombre par le rideau. Il fronce les sourcils. Comme si on l'épiait. Il n'hésite pas. Il n'a pas peur. Il ouvre le tiroir de la table de nuit et en sort une arme, une qu'il a caché lors de la perquisition quand ils ont pris de ses affaires jusqu'à ses caleçons sales pour les analyser. La honte. Il charge le revolver et s'avance discrètement, à pas de loups (ironie), vers la fenêtre. Il tire le rideau et brandit son arme par le carreau. Ses yeux s'écarquillent. Bon dieu.

Effie lui demande d'un signe de la main de défaire le loquet de la fenêtre. Loup n'hésite pas. Il défait le loquet et la soulève. Effie fonce dans ses bras, jure et souffle son prénom. Instinctivement, il la serre en retour, avec la force de ses bras, imposante. Il ferme les yeux, le nez dans ses cheveux blonds qui sentent bon la vanille. Il sent le vent froid de la fenêtre ouverte et cela le fait frissonner. Ou est-ce le fait d'avoir la jeune femme dans ses bras ? Loup n'en sait rien. Il dépose un baiser sur son front avant de reculer d'un pas, interdit. Elle n'a pas le droit d'être ici. Pas avec l'enquête, pas avec son connard de père. Si on l'apprend, il sera encore plus dans la panade si c'est possible (et ça, il a des doutes, tout de même). Loup détourne le regard. Il observe maintenant son chien, assis sur son lit, les oreilles redressées, qui secoue la queue en regardant de ses yeux brillants Effie. « Tu ne devrais pas être là ». La voix de Loup est naturelle rauque, très grave. Parfois effrayante pour les gamines qu'il arrête pour vol au centre commercial. Cela s'ajoute à sa carrure imposante, à sa barbe, à ses tatouages sur tout le corps, le torse jusqu'au bout des bras. Il est heureux qu'elle soit ici, c'est indéniable mais elle ne le devrait pas. Puis pourquoi revenir après avoir pris la fuite, hein ? Loup passe une main dans ses cheveux. « Il t'as fait du mal ? », demande-t-il en la dévisageant, à la recherche d'une marque. Il ne voit rien, rien de neuf, rien qu'il n'a pas vu la dernière fois. Le regard de Loup descend le long de ses jambes nues. Elle doit cailler, pauvre Effie. Il passe à ses côtés pour refermer la fenêtre et tirer le rideau, sait-on jamais si le voisin d'en face épie. Machinalement, Loup lui passe un plaid et l'enroule autour de ses épaules. Sa main effleure sa peau froide. Il frissonne. « Effie, ses photos de gamins nus sur mon ordinateur, elles ne sont pas à moi », se défend Loup, sait-on jamais si elle doute de lui. « J'sais pas d'où ça sort, je ... ». Loup panique.

Loup redoute la réponse d'Effie, pourtant, il la connaît. C'est une certitude ancrée en lui, il sait que si le père d'Effie, l'ancien maire de Fairview, ne l'a pas tapé, il a, à défaut, user de violence psychologique sur elle. L'adolescente lui confirme. Sa mâchoire se décoche. Il a désormais une seconde certitude : Lovecraft est derrière ses problèmes. Il veut même l'accuser d'avoir manipulé Effie pour salir sa réputation alors qu'il salit la sienne, alors que Loup n'est qu'un gentil flic qui fait son travail, défendre les citoyens de sa municipalité. « Putain », laisse échapper le flic qui pourtant, n'est pas vulgaire. Il jure rarement, bien qu'il soit assez lunatique et s'emporte assez facilement, fougueux et déterminé. Effie pose sa main sur sa joue mais Loup détourne le visage pour couper court à ce contact. Il ne peut pas. Ils ne peuvent pas. Ils ont déjà été trop loin, à coucher ensemble. C'était une erreur. Ils n'auraient pas dû. Il est majeur, elle est mineure. Ils ont dix-huit ans d'écart. Il est flic, elle est la fille de l'ancien maire. Effie lui dit d'arrêter de s'expliquer, qu'il sait ce qu'il en pense mais Loup doute : après tout, sa propre mère hésite. Depuis qu'il lui a avoué, dans un souci de droitesse et de franchise, avoir eu un rapport sexuel avec Effie, elle commence à vaciller. Son fils est-il un pédophile ? Mystère. « Je dois m'expliquer, Effie, parce que tout Fairview est convaincu que je suis un pédophile, que je t'ai violé et que je prends plaisir à regarder des gamins », s'écrie Loup, plus fort qu'il ne le voudrait. Corson se fait caresser par l'adolescent, bienheureux. Effie te demande ce que c'est. C'est pourtant évident, c'est des bouteilles de whisky. De vodka. De vin. De Get. Tout et n'importe quoi, il a vidé les placards de la cuisine. Loup soupire. Il s'assoit sur le lit et aussitôt, son chien vient s'asseoir à ses pieds, brave bête. « J'ai besoin de ça pour oublier », avoue-t-il. « J'ai besoin de ça pour m'endormir, pour me lever, pour marcher, pour continuer ».

Sa jolie Effie s'excuse et Loup faiblit. Il a envie de la prendre dans ses bras, il peine à résister à cette envie dévorante mais il tient bon. Effie avoue qu'elle n'aurait pas du venir, ni ce soir ni jamais. Ton cœur se serre. Si elle n'était jamais vu chez lui, ils n'auraient jamais fais l'amour et Loup n'aurait pas goûté de près au bonheur de se sentir bien avec une femme. Une femme qui n'en est pas encore une, pas tout à fait. Effie lui rappelle qu'il a la bouche scotchée, qu'il ne peut pas parler. Qu'un claquement de doigt de Lovecraft suffirait à le ruiner, encore plus qu'il ne le détruit maintenant. « Cela, je le sais très bien, qu'il est haut placé et ses p'tits potes aussi : j'en fais les frais », réplique Loup, brutalement. Il se mord la lèvre, regrettant ce ton désagréable. Il glisse sa main sur la cuisse nue d'Effie, une excuse silencieuse en quelque sorte. Il l'écoute attentivement. Il est comme ça, Loup. Il écoute tout le monde. Il est gentil, trop. Il est attentif aux autres. Leur bonheur compte, parfois plus que le sien, à ses yeux. Effie s'inquiète pour lui. « Effie, j'ai choisi de m'embarquer là dedans au moment où j'ai choisi d'ouvrir cette enquête contre ton père, de te croire. J'ai choisi de t'ouvrir ma porte – ou plutôt ma fenêtre -, quand tu es venue, en pleine détresse. J'ai choisi d'avoir un rapport sexuel avec toi ». En fait, il l'a sans doute choisi, elle, aussi, mais ça, Loup ne veut pas l'admettre. « Ma mère dort depuis des heures, un étage plus bas. ». En somme, cela ne risque rien. Il en est certain. Elle prend des cachets depuis le début du scandale pour trouver le repos. Elle dort comme un loir. « Il doit bien exister des preuves de ce qu'il fait, non ? ». Quelqu'un, un frère, un cousin, un voisin. N'importe qui. Puis il en vient à poser cette question qu'il n'imaginait jamais poser. « Ton copain n'a jamais remarqué ? ». Parce que oui. Effie ne lui a jamais dit qu'elle est en couple. Loup l'a découvert, en enquêtant. Loup n'a rien dit. Il le savait, quand ils ont fait l'amour. Maintenant, il a des scrupules : ce gamin doit avoir de la peine, par sa faute.

Effie demande à Loup de ne pas crier mais c'est plus fort que lui, sous le coup de la panique et de l'angoisse. Il n'arrive pas à se maîtriser néanmoins, il essaie. Il serre fort ses lèvres entre elles et inspire puis expire profondément, cherchant à s'apaiser. Loup sent les doigts d'Effie sur sa main, qui la caresse. Cela le détend, indubitablement. « Comme une mère qui pense avoir donné naissance à un pédophile ou du moins, qui émet quelques doutes », répond le flic, sa voix hantée par des trémolos, de l'affliction. Effie parle de son père et aussitôt, une bouffée de haine envahit Loup. Il déteste cet homme et il rêve de lui mettre du plomb dans la cervelle même si c'est mal et que c'est ce contre quoi il lutte depuis quinze ans, depuis qu'il travaille dans la police. « Je peux fouiller dans ses affaires, je suis flic ». Ou du moins l'était, provisoirement, jusqu'à ce que tout cela se règle, il l'espère car Loup ne se voit pas exercer une autre profession. Son métier, sa passion. Effie pose sa tête sur l'épaule de Loup. Il demeure immobile, perturbé par tant de proximité, une proximité interdite et pourtant … ! Effie semble surprise qu'il soit au courant de son petit copain pourtant, il a mené son enquête sur elle, sur eux, sur les Lovecraft. C'est son boulot, après tout. Il devait vérifier certains éléments, si elle est une adolescente stable et elle l'est, il en est convaincu. « Internet, c'est magique, Ef. Quand on m'a confié l'enquête, quand j'ai pris ta déposition, j'ai du me renseigner et ton compte Facebook est assez éloquent ». Photos en amoureux, statut « en couple ». Il n'ose pas lui demander ce que pense son copain du fait qu'elle ait, pour tous, été violée par un flic. S'il la soutient, s'il sait pour la violence du maire Lovecraft. « Je vais essayer de mettre mon coéquipier sur le coup. Il est le seul à me croire au commissariat et Piroz lui fait une confiance aveugle », explique Loup à l'adolescente.

« Ce n'est pas ce que tout Fairview croit », réplique Loup. Il souffre de cette réputation. En effet, c'est un inspecteur de police dévoué à la population locale. Il aide toujours les gens mais voilà comment on le lui rend. En le montrant du doigt, en dégradant sa voiture, en traversant quand il marche dans la rue, en l'insultant. Sa réputation est détruite. Sa carrière également. Comment Loup pourra-t-il se reconstruire après cela ? Le pourra-t-il, même ? Effie lui confie qu'elle ne pourrait pas supporter que son père le rabaisse encore. Loup est touché. Il a envie de la serrer dans ses bras mais il s'abstient. Il n'a pas le droit. Il a déjà été bien trop loin avec elle. Il ne peut plus se le permettre. Effie t'explique ce n'est pas son copain, mais finalement si mais c'est compliqué. Loup lève les yeux au ciel. L'amour, c'est toujours compliqué. La preuve. Est-ce de l'amour ou de la simple affection, qu'il ressent pour Effie ? Loup n'en sait rien. Il n'a juste jamais ressenti cela. Effie ramasse les bouteilles. Il y a du travail, c'est indéniable. Loup reste assis, gratte derrière l'oreille de Corson qui se blottit contre son maître. « Je ne sais pas si c'est une très bonne idée que tu sois venue ici », avoue le policier. Il se mord la lèvre. Cette parole n'est pas très aimable, il en a conscience et au fond, il est heureux qu'elle soit là, Effie, sa blanche colombe. « Mais je suis content de te voir ». Il sourit, le premier sourire depuis des jours entiers qui s'affichent sur son visage. « Tu me manquais »

Loup adore la manière dont son prénom sonne dans la bouche de l'adolescente, poétique et sauvage à la fois. C'est peut-être la seule fois qu'il l'aime, ce prénom d'animal choisi par son père, décédé des années plus tôt, ce qui l'a conduit à devenir flic. Loup et Effie. Il aime ses deux prénoms, il aime eux deux. Et pourtant, eux, ça ne peut pas exister. C'était une nuit, rien de plus, un écart après de l'affection qui existe réellement, ce qui est indéniable. « Reste », souffle finalement Loup. Il a besoin d'elle. L'inverse. Maintenant, c'est lui qui a besoin d'Effie, pas le contraire. Quoi que si, tout de même. « Pourtant, il va falloir mettre des distances entre nous ». Son cœur se serre. Il ne peut rien se passer, il ne doit rien y avoir de plus que ce qu'il n'y a eu. C'était déjà trop. Les mots restent coincés dans la bouche d'Effie mais Loup comprend où elle veut en venir. Visiblement son copain ne la respecte pas autant qu'il ne le devrait. Quel connard. Il ne sait pas ce qu'il perd. Une jeune femme en or. Un diamant dans un écrin, caché pour l'instant, qui va bientôt briller de mille feux. « Je ne sais pas comment m'y prendre sans rentrer dans l'illégalité », confie Loup. Là est tout le problème : ne rien faire d'interdit. Rester droit dans ses bottes, franc et honnête. Comme toujours. Parce qu'il est ainsi, Loup. Il hausse des épaules à propos de son avocat. « Pas grand chose, pour le moment ». Loup observe Effie et Corson. Il jalouse le chien d'avoir le droit à son toucher, à ses caresses et surtout, à un surnom affectueux. Il vient s'asseoir sur le lit, fatigué. Il se frotte les yeux. « Pour l'instant, les flics attendent l'expertise d'un psychiatre pour voir si je suis taré. Mon avocat avisera en fonction du verdict mais quoi qu'il en soit, je suis coupable à cause de ses photos sur mon ordinateur. La seule chose qui me sauve, pour le moment, c'est de ne pas avoir avoué et admis que ... ». Loup s'arrête un moment. Il caresse son chien mais dans la fourrure de ce dernier, sa main effleure celle d'Effie. « … je n'ai pas avoué que toi et moi avons ... ». Il n'arrive pas à le dire. Parce qu'il s'efforce de rendre cela irréel pour se sauver, sauver sa peau.

Des distances, Loup n'a aucune envie d'en imposer entre eux. Au contraire, il voudrait la prendre dans ses bras mais il se l'interdit. Il n'a pas le droit, il n'a jamais eu le droit. Les yeux d'Ef deviennent humides, son cœur se serre. Il se déteste de lui faire du mal. « On devrait arrêter de se voir ». Pas pour un temps, définitivement. Il devrait lâcher son enquête et elle, arrêter d'escalader sa véranda pour rentrer dans sa chambre en pleine nuit. Effie refuse, répète en boucle cette litanie, ce refus qu'ils s'abandonnent. Elle propose même de parler à maître Grabber mais aussitôt, Loup réagit. Il ne veut pas. « Non ! », s'écrie-t-il. Effie veut lui dire qu'ils ont couchés ensemble, qu'elle voulait le faire. Il ne faut pas. Il faut que personne ne sache ce qu'ils ont fait ou quelqu'un trouvera un moyen de détourner, de dire qu'il a abusé d'elle via une influence mentale ou une autre connerie dans le genre. Elle le fixe, Effie et Loup est déstabilisé. Il avale bruyamment sa salive. « Personne ne doit savoir ce que nous avons fait, Effie. Personne ». Il est sérieux. Il la regarde dans les yeux et il voit les siens glisser sur son torse. Cela lui donne chaud, envie. Il serre le poing pour se retenir mais de l'autre main, il revient glisser une mèche dorée d'Effie derrière son oreille. « Promets moi de ne pas aller voir Grabber et de ne pas lui dire pour ce qu'il s'est passé l'autre nuit », dit-il, sérieusement, en la fixant. « … et pour ce qu'il risque de se passer cette nuit si tu continues à me regarder ainsi ».

La main d'Effie sur son torse le rend fou, dingue de désir. Il avale sa salive difficilement et bruyamment. Il a tellement envie de la prendre dans ses bras mais il n'ose pas. Il n'a pas le droit. Il a déjà franchi trop de limites. Il ne peut pas se le permettre mais elle ? Elle, elle pose ses lèvres sur sa joue, à quelques encablures de ses lèvres. Loup ferme les yeux. Il a tellement envie de plus. De ses lèvres sur les siennes, d'un baiser fougueux et passionné. Effie lui répète cette litanie, ce refus qu'il la délaisse puis cherche son regard. Il le fuit en fermant les paupières, encore une fois alors qu'il sent soudainement les lèvres charnues et rosées de l'adolescente sur les siennes. Il ne réfléchit plus. Son cerveau cesse de fonctionner alors que sa grande main se pose sur la hanche d'Effie pour l'attirer contre lui, pour ensuite se glisser au creux de ses reins. Sa langue quémande un duel à la sienne, féroce et tendre à la fois. Il mordille les lippes de la blonde, il joue avec. Ils sont assis sur le lit, il tombe en position allongée en l'entraînant avec lui. Il passe une jambe sur les siennes. Il grogne contre sa bouche, comme un véritable animal assoiffé, le Loup. Puis brutalement, Loup se redresse, alerte, haletant, essoufflé. Il pose ses doigts sur sa propre bouche. « Il ne faut pas », tranche-t-il. « On a pas le droit »

Loup s'est redressé brutalement. Il n'ose plus regarder Effie dans les yeux. Il préfère se focaliser sur Corson qui a été s'allonger à côté de la porte, son bon vieil ami, son seul confident en ce moment. Même si c'est un chien, même si c'est stupide. « Oui, la loi », répond Loup. La loi, il la connaît sur le bout des doigts, son métier c'est de la faire appliquer après tout, non ? « Bon sang, Ef, ouvre les yeux. On a vingt ans d'écart. Tu es encore une gamine et je suis flic alors oui, cette même loi qui laisse ton père en liberté nous interdit quoi que ce soit », s'exclame Loup. Il enfile un gilet à même son torse nu et le referme sur celui-ci pour se couvrir un minimum. Il n'arrive pas à la regarder dans les yeux, à lui dire ses mots qui la feront partir et qu'il ne la reverra plus. L'idée lui brise le cœur même si c'est ce qu'il y a de plus raisonnable. « Je tiens à toi, Effie. Tu le sais mais … c'est complètement dingue. Ma vie est complètement dingue en ce moment et je ne peux pas rajouter une nouvelle folie, toi ». Puis il y a son petit-ami. Puis son père. La police, les avocats, les gens. Loup ne peut pas tous les affronter. Il ne peut pas se battre tout seul et désarmé. Il n'en a plus la force, même s'il en avait les moyens. Il est fatigué, épuisé. « Puis il y a ton copain. J'ai passé l'âge de piquer les copines des autres, surtout d'un gamin », ajoute Loup, déterminé.

Il essaie de ne pas craquer, Loup. Il tente, il simule, il joue un jeu d'acteur mais c'est difficile. Il a mal au cœur de lui faire du mal, à sa Effie. Il tient à elle. Peut-être même plus qu'il n'ose l'admettre. Effie lui reproche de ne pas avoir pensé pareil, l'autre fois, l'autre soir, quand ils ont consommés les plaisirs de la chaire, ensemble. Sur le coup, non, il n'y pensait clairement pas. Il baisse la tête, Loup mais Effie le force à la regarder. Il serre la mâchoire pour ne pas craquer alors qu'elle pleure. Il devrait lui dire qu'il ne veut plus jamais la revoir mais il ne peut pas s'y résoudre. Non, c'est un crève-coeur, cela fait trop mal. Effie s'accuse. Non. Il n'est pas d'accord. Ils étaient deux. Il est surtout responsable parce qu'il est majeur, adulte et elle, ce n'est qu'une gamine de dix-neuf ans. « Dans l'euphorie... », commence Loup avant qu'Effie ne le compare aux autres, ne le traite indirectement de connard. Il encaisse le coup qui fait encore plus mal qu'une claque en pleine gueule. « Traite-moi de connard si ça t'aide à me détester, Ef, je ne t'en veux pas », dit-il calmement, peut-être trop. « Je tiens à toi, réellement, Effie. N'en doute pas, jamais », continue Loup. « Je suis désolé ». Loup s'approche de la fenêtre, écarte les rideaux et ouvre le loquet pour la laisser partir dans la nuit noire, sa blanche colombe.

Visiblement Effie est en colère. Lui, il est juste affreusement triste mais ne laisse rien paraître. Son métier de flic le lui a appris. Ne jamais montrer ses émotions. Il a le visage fermé mais intérieurement, son cœur saigne. Dès qu'elle sera parti, il cherchera la présence de son bon p'tit berger allemand, le serrera dans ses bras et se laissera aller. Il se déteste de lui faire du mal. « Désolé », répète Loup en cherchant le regard de la jeune femme qui regarde son chien en reniflant. Il sent du mépris dans sa voix, pourtant, elle lui souhaite que du bon. Il voudrait lui dire qu'il sera tout de même là pour la protéger contre son père, qu'il va continuer la lutte, qu'il n'abandonne pas son enquête même si elle est classée pour les autorités. Il met juste des distances entre eux, c'est tout, pas entre lui et les histoires chaotiquement troubles d'Effie, ça non. Il n'abandonnera pas tant que Lovecraft ne sera pas derrière les barreaux, écroué. Il la regarde partir, le cœur lourd, le cœur serré. Puis quand elle disparaît au-delà de son champ de vision, il se couche sur le flanc dans un long soupir plein d'amertume et d'affliction et se replie en position foetale.